Émissions résiduelles, crédits carbone et intégrité : ce que dit vraiment le nouveau projet du Standard SBTi 2.0
- Raphael Der Agopian
- 3 avr.
- 7 min de lecture

Alors que la pression s’accentue sur les entreprises pour qu’elles démontrent une action climatique crédible, la publication du projet 2.0 de la norme « Net-Zero » de la Science Based Targets initiative (SBTi) marque un tournant décisif. Cette mise à jour apporte une nouvelle clarté — et suscite aussi certaines controverses — sur la manière dont les entreprises peuvent utiliser les crédits carbone (CDR), en particulier ceux issus de solutions fondées sur la nature, dans leurs stratégies de décarbonation.
Depuis son lancement initial en 2021, la norme « Corporate Net-Zero » de la SBTi a guidé plus de 1 500 entreprises dans l’alignement de leurs objectifs climatiques sur la science. Mais si l’ambition est claire, réduire les émissions selon une trajectoire compatible avec un réchauffement limité à 1,5 °C, sa mise en œuvre se heurte souvent à des limites pratiques, notamment dans les secteurs où les émissions sont difficiles à réduire. D’où l’enjeu des émissions résiduelles, et la question de leur prise en compte responsable.
Cet article propose une analyse ciblée de la manière dont le projet de norme v2.0 traite les absorptions de CO₂, avec un accent particulier sur les solutions fondées sur la nature. Nous chercherons à répondre à trois questions clés :
Qu’est-ce qui a changé dans les orientations de la SBTi concernant les absorptions carbone et les émissions résiduelles ?
Où et comment les crédits carbone fondés sur la nature peuvent-ils être utilisés de manière crédible ?
Qu’est-ce qui demeure inchangé dans la hiérarchie des actions climatiques ?
Chez Apolownia, en tant que développeurs de projets de restauration à grande échelle de mangroves, nous saluons l’introduction de règles plus claires, qui favorisent l’intégrité et permettent de canaliser les financements vers des projets d'absorption fondés sur la nature, à fort impact et durables.
1. Quelles sont les nouveautés du projet SBTi v2.0 ?
Le projet de mise à jour introduit plusieurs clarifications importantes et des évolutions majeures concernant l'utilisation des crédits d’absorption de carbone (CDR).
Émissions résiduelles : une approche graduée
L'une des évolutions les plus significatives est l’introduction de trois options possibles pour traiter les émissions résiduelles :
Objectifs obligatoires de séquestration, incluant des étapes intermédiaires.
Reconnaissance facultative pour les entreprises qui se fixent volontairement des objectifs de séquestration.
Souplesse permettant de traiter les résiduels par un mélange de réductions et d’absorption.
Ces dispositions s’appliquent uniquement aux émissions du Scope 1. La SBTi affirme qu’il ne devrait pas rester d’émissions résiduelles du Scope 2 (grâce à l’accessibilité des énergies renouvelables), et que celles du Scope 3 sont trop incertaines pour être quantifiées de manière fiable.
Il s’agit d’une approche plus prudente que la version 1.2, qui permettait d’utiliser des absorptions pour 5 % des émissions des Scope 1+2 et 10 % de celles du Scope 3. Le nouveau projet limite strictement cette utilisation à 10 % des émissions du Scope 1 de l’année de référence, avec des critères de justification plus exigeants.
Objectifs intermédiaires et action anticipée
Les entreprises sont encouragées à développer des solutions de CDR en amont de leur année Net Zero, notamment pour stimuler la demande sur le marché. Cela ouvre la voie à des projets pilotes et à des interventions fondées sur la nature, dont l’impact peut croître dans le temps.
Exigences de durabilité : équivalence ou transition progressive ?
Deux options sont proposées pour la durabilité des absorptions :
Équivalence stricte (like-for-like) : les émissions permanentes (ex. combustibles fossiles) doivent être compensées par des absorptions tout aussi permanentes (ex. DACCS ou BECCS).
Transition progressive : permet l’utilisation de CDR naturels à court terme, à condition de prévoir un passage progressif vers des solutions plus durables.
Cela représente une avancée positive pour les développeurs de solutions fondées sur la nature : ce n’est pas un blanc-seing, mais cela ouvre l’accès à un financement anticipé et à une mise en œuvre rapide.
BVCM : un nouveau niveau de reconnaissance
La mitigation au-delà de la chaîne de valeur (BVCM) reste optionnelle et n’est toujours pas comptabilisée dans l’atteinte des objectifs climatiques selon la SBTi. Toutefois, le projet v2.0 introduit une avancée notable : les actions de BVCM peuvent désormais être formellement reconnues comme des signes de leadership climatique.
Ces contributions – par exemple, le financement de projets d’absorption de haute qualité hors de la chaîne de valeur – ne comptent pas dans les Scope 1 à 3, mais le nouveau cadre permet de les divulguer et de les distinguer clairement dans les rapports de durabilité. Cette évolution rapproche la SBTi d’initiatives comme la Voluntary Carbon Market Integrity Initiative (VCMI), qui valorisent les entreprises allant au-delà de leur empreinte. Contrairement à la version 1.2, où la BVCM n’était qu’une recommandation, le projet actuel pose les bases d’une reconnaissance structurée, soulignant l’intérêt du financement climatique volontaire et précoce.
2. Absorptions fondées sur la nature : comment les utiliser selon les Scope
Avant d’aborder les applications spécifiques à chaque Scope, les entreprises doivent garder en tête trois principes fondamentaux :
D’abord, les CDR complètent mais ne remplacent pas les réductions. Les solutions fondées sur la nature doivent être mises en œuvre avec rigueur pour garantir leur durabilité.
Ensuite, la transparence est indispensable dans la comptabilité carbone.
Enfin, il est essentiel de privilégier des CDR fondées sur la nature, scientifiquement robustes, durables, et bénéfiques pour la biodiversité et les communautés.
3. Comment les CDR fondées sur la nature peuvent-elles être utilisées ?
Décryptons l’application des absorptions fondées sur la nature dans chacun des trois Scopes.
Scope 1 – Émissions directes
Les CDR fondées sur la nature peuvent être utilisées :
Avant l’année cible de neutralité, dans le cadre d’objectifs intermédiaires de séquestration.
À partir de l’année de neutralité, pour neutraliser les émissions résiduelles, à condition d’être combinées à des solutions plus durables.
Exemple : un cimentier pourrait combiner restauration de mangroves et technologies d’absorption pour compenser les émissions incompressibles.
Chez Apolownia, nos projets de restauration de mangroves, avec leurs garanties de durabilité et de co-bénéfices, sont parfaitement adaptés à un usage en Scope 1 à moyen terme.
Scope 2 – Émissions liées à l’énergie
Pas d’émissions résiduelles = pas de recours aux CDR.
Les entreprises doivent atteindre leurs objectifs de Scope 2 en :
Procurant de l’électricité renouvelable,
Utilisant des méthodes de comptabilité basées sur la localisation ou le marché.
Cependant, elles peuvent s’engager dans des projets de BVCM pour contribuer à la décarbonation du réseau — par exemple, conservation forestière ou protection de zones humides proches de sites de production d’énergie.
Scope 3 – Émissions de la chaîne de valeur (amont et aval)
C’est ici que les choses se compliquent :
Les émissions résiduelles ne sont pas formellement reconnus, en raison de la difficulté à les quantifier de manière fiable.
L’engagement auprès des fournisseurs est prioritaire : il faut démontrer 3 à 5 ans d’efforts pour les aider à décarboner.
En cas d’échec, des investissements dans des projets de restauration ou d’insets (absorptions dans la chaîne de valeur) peuvent être déclarés, mais ne sont pas comptabilisés dans les objectifs.
La transparence et la distinction claire entre actions de réduction et d’absorption sont essentielles.
4. Ce qui ne change pas
Le projet de norme réaffirme la hiérarchie classique de l’action climatique :
Éviter les émissions lorsque c’est possible.
Réduire les émissions de manière ambitieuse.
Neutraliser les émissions résiduelles uniquement après avoir réduit au maximum.
Contribuer au-delà de la chaîne de valeur, sur base volontaire.
Les crédits carbone, qu’il s’agisse de réductions ou d’absorptions, ne doivent jamais se substituer à la décarbonation réelle. Leur usage n’est légitime que pour neutraliser les résiduels difficiles à éviter.
5. De la théorie au terrain – réactions et controverses
L’article QCI Carbon Insights souligne que le nouveau projet divise le marché. Beaucoup saluent la clarté nouvelle, d’autres pointent plusieurs limites :
Exclusion du Scope 3 : certains y voient une occasion manquée, le Scope 3 représentant souvent plus de 90 % des émissions.
Débat sur la durabilité : la transition progressive entre absorptions naturelles et technologiques est appréciée, mais soulève des inquiétudes sur les risques.
Appétence des entreprises : certaines rechignent à adopter des règles jugées trop strictes sur l’éligibilité des absorptions.
6. Recommandations pour une utilisation responsable des CDR
Chez Apolownia, nous défendons une approche pragmatique mais exigeante des absorptions carbone. Voici comment s’aligner sur le projet SBTi :
Étape 1 : Réduire en priorité
Mener des bilans détaillés sur les émissions des Scope 1 à 3 et mettre en œuvre des réductions opérationnelles ambitieuses.
Étape 2 : Choisir des projets à haute intégrité
Privilégier des projets avec :
Des engagements de durabilité sur 30 ans minimum,
Une vérification indépendante (Verra, Gold Standard),
Des co-bénéfices pour la biodiversité, les communautés et la résilience.
Les projets de mangroves d’Apolownia répondent à ces critères.
Étape 3 : Être transparent
Dans les rapports :
Séparer réductions et absorptions,
Identifier toute CDR hors chaîne de valeur comme BVCM,
Éviter les allégations floues du type « produit net-zéro » sans justification solide.
Conclusion – trouver le bon équilibre
Le projet v2.0 de la SBTi envoie un message clair : l’intégrité climatique est prioritaire. Les absorptions ont leur place dans une stratégie crédible, mais uniquement après des réductions significatives, et uniquement pour les résiduels.
Les solutions fondées sur la nature — lorsqu’elles sont conçues pour être durables et apporter des co-bénéfices — sont de formidables leviers d’action climatique. Mais elles doivent s’inscrire dans un portefeuille diversifié intégrant réductions, absorptions technologiques, et transparence absolue.
Chez Apolownia, nous croyons au pouvoir de la restauration des écosystèmes, comme les mangroves, non pas comme une excuse pour retarder la décarbonation, mais comme un moyen de régénérer la nature et renforcer les puits de carbone.
Alors que les entreprises s’adaptent à ces nouvelles règles, un principe doit guider chaque décision :
L’ambition climatique sans intégrité n’est que du marketing. Faisons de la neutralité carbone une réalité.
A PROPOS D'APOLOWNIA
Apolownia est une entreprise à mission engagée dans la lutte contre le changement climatique.
Nous soutenons les entreprises et les fonds désireux de s'engager dans des stratégies de décarbonation à long terme et impactantes - au sein et au-delà de leur chaîne de valeur - en concevant, en mettant en œuvre et en assurant le suivi de projets de contribution climatique basés sur la science et dont l'objectif est de restaurer les écosystèmes naturels.
À travers la technologie et des solutions innovantes, nous visons à façonner un monde résilient et respectueux de l'environnement, en encourageant la décarbonation de l'économie et en soutenant des initiatives sociales et environnementales.
Vous pouvez être moteur d'un changement positif pour le climat, la biodiversité et les communautés locales.
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