Le marché volontaire du carbone en 2025
- Raphael Der Agopian
- 2 juil.
- 6 min de lecture
En 2025, le marché volontaire du carbone (VCM) se trouve à un tournant décisif. D’outil complémentaire pour l’action climatique, il est devenu un pilier central de la transition mondiale vers la neutralité carbone. Cette évolution s’opère dans un contexte de bouleversements politiques et réglementaires majeurs : retrait renouvelé des États-Unis de l’Accord de Paris, reports de directives clés de l’Union européenne sur la durabilité, et débats persistants sur l’intégrité des marchés. Pourtant, malgré ces vents contraires, le VCM ne fait pas que résister : il se transforme, avec une sophistication croissante, une demande en plein essor et un leadership affirmé du secteur privé.
Cet article analyse l’état actuel du VCM, les récents changements de politique mondiale, la montée en puissance des contrats d’achat à long terme (offtake agreements) et les raisons pour lesquelles le secteur privé émerge comme le nouveau moteur de l’ambition climatique.

I. Contexte politique mondial : revers et nouveaux leaderships
Retrait des Etats-Unis de l'Accord de Paris : un choc aux effets paradoxaux
Début 2025, la décision de l’administration Trump de retirer à nouveau les États-Unis de l’Accord de Paris a créé une onde de choc dans la communauté climatique. Cette décision a réduit l’engagement fédéral, accru l’incertitude réglementaire et menacé la participation américaine au mécanisme CORSIA (compensation des émissions dans l’aviation), suscitant des inquiétudes sur l’éligibilité des crédits carbone américains.
Paradoxalement, le secteur privé américain a réagi avec une ambition sans précédent. Des entreprises majeures renforcent leurs engagements climatiques :
Microsoft a signé un accord de 25 ans pour acheter 7 millions de tonnes de crédits issus de projets de reforestation aux États-Unis.
Salesforce a accéléré le déploiement d’outils basés sur l’IA pour aider les entreprises à élaborer des stratégies de durabilité.
Meta et Google ont avancé leurs objectifs de neutralité carbone et intensifié leurs achats de crédits.
Union européenne : quand l'ambition se confronte à la réalité
L’UE, longtemps leader mondial en matière de régulation climatique, a connu un ralentissement notable en 2025 :
CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) : initialement prévue pour une mise en œuvre large en 2025–2026, son application a été repoussée, avec des obligations de reporting décalées à 2028–2029 pour de nombreuses entreprises. Des discussions évoquent même l’exemption des entreprises de moins de 1 000 salariés.
CS3D (Corporate Sustainability Due Diligence Directive) : le premier groupe d’entreprises (plus de 5 000 salariés et 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires) sera soumis à la directive à partir de juillet 2028, avec un an de retard sur le calendrier initial ; le déploiement progressif pour les autres catégories reste incertain.
Ces reports reflètent des préoccupations croissantes sur la compétitivité et la charge réglementaire, notamment en France, où le président Macron a plaidé pour une simplification et un report, menant à l’adoption en avril 2025 de la directive « Stop-the-clock » qui formalise ces délais. Bien que les directives n’aient pas été annulées, ce recul est largement perçu comme un frein à l’ambition climatique européenne.
Forums internationaux et marchés régionaux
Alors que les États-Unis et l’UE font face à des turbulences internes, d’autres régions avancent :
Chine : le marché carbone chinois poursuit son expansion avec des prix en hausse et de nouveaux secteurs intégrés, malgré des chevauchements réglementaires.
Marchés régionaux américains : la Californie, l’État de Washington et le RGGI prennent une importance croissante alors que la politique fédérale s’efface.
COP29 et négociations sur l’Article 6 : les discussions progressent lentement, nourrissant l’espoir d’une intégration future entre marchés volontaires et de conformité, favorisant l’intégrité et la transparence.
II. Tendances du marché : résilience, qualité et croissance
D'une crise de crédibilité à une exigence de qualité
En 2023–2024, le VCM a traversé une crise majeure : des analyses ont révélé que 50 à 90 % des projets ne permettaient pas de véritables réductions d’émissions, entraînant une contraction de 61 % du marché et un effondrement de la confiance.
Mais cette prise de conscience a provoqué un tournant décisif : les acheteurs privilégient désormais les crédits de haute intégrité respectant des standards rigoureux, tels que les Core Carbon Principles de l’ICVCM. La diligence raisonnable, l’additionnalité, la permanence et une vérification robuste sont devenues des prérequis. Selon des analystes comme MSCI, la qualité des projets s’est nettement améliorée, et le marché privilégie désormais les crédits offrant des bénéfices climatiques tangibles.
Une demande record et des prix en hausse
Malgré un contexte politique incertain, le marché montre un net rebond :
Les achats de crédits carbone par les entreprises ont bondi de 150 % au T2 2025 par rapport au T2 2024 (AlliedOffsets).
Le prix moyen des crédits a augmenté de 40 % en glissement annuel, tiré par la rareté des crédits de qualité.
Les retraits ont atteint un record de 15,2 millions de tonnes de CO₂e au premier semestre 2025, plaçant le marché sur une trajectoire pour dépasser les totaux de 2023 et 2024.
La valeur totale du marché est projetée en hausse de 1,55 milliard $ en 2024 à 1,89 milliard $ en 2025, avec des prévisions atteignant 4,13 milliards $ d’ici 2029.
Primes pour la qualité et les crédits d'absorption
Les crédits d’absorption (par ex. reforestation, DAC) coûtent en moyenne 381 % plus cher que les crédits de réduction, contre 245 % en 2023.
Les crédits de vintages récents (datant de moins de cinq ans) affichent une prime de 217 %, contre 53 % en 2023, illustrant la préférence des acheteurs pour des projets récents ou alignés sur les méthodologies actuelles.
Les solutions basées sur la nature, notamment l’ARR (afforestation, reforestation, revégétalisation) et le Blue Carbon, sont particulièrement recherchées, portées par les engagements de neutralité carbone des entreprises.
III. La montée stratégique des offtake agreements
Les contrats d’achat à long terme (offtake agreements) engagent les acheteurs à acquérir un volume défini de crédits sur plusieurs années. En 2025, ces accords sont devenus la colonne vertébrale du VCM, notamment alors que la qualité s’améliore et que les prix augmentent.
Pourquoi sont-ils essentiels aujourd'hui ?
La rareté des crédits de haute intégrité rend les offtakes indispensables pour sécuriser l’accès futur.
Avec des prix en hausse de 40 % sur un an, ces contrats permettent aux acheteurs de se protéger contre la volatilité.
Les premiers entrants bénéficient de remises allant jusqu’à 30 % par rapport aux prix au comptant.
Les développeurs sécurisent ainsi des revenus leur permettant de financer des projets capitalistiques.
Les entreprises recherchent de plus en plus des accords avec des développeurs réputés pour garantir des bénéfices climatiques réels et vérifiables.
Exemples récents
L’accord de 25 ans et 7 MtCO₂e de reforestation signé par Microsoft est le plus important jamais conclu par une entreprise technologique, preuve d’un engagement à long terme malgré les incertitudes politiques.
La coalition Symbiosis (Microsoft, Meta, Google, Salesforce) vise à sécuriser 20 millions de tonnes de crédits de suppression basés sur la nature d’ici 2030.
Plus de 60 % de la capacité de biochar de qualité pour 2025 est déjà verrouillée via des offtakes, et 28 % sont engagés jusqu’en 2026.
IV. Incitations à l'énergie propre et solutions technologiques : un paysage fragmenté
Alors que l’administration Trump cherche à démanteler l’Inflation Reduction Act (IRA), certaines incitations clés restent en place :
Les crédits fiscaux 45Q pour la capture du carbone (DAC, CCS, CCUS) sont maintenus jusqu’en 2032, assurant la viabilité de nombreux projets.
D’autres crédits, tels que les 45V pour l’hydrogène et 45Y/48E pour l’électricité renouvelable, sont progressivement supprimés, ce qui pourrait ralentir le développement de ces technologies.
Ce contexte favorise les projets d’absorption carbone soutenus par le 45Q, tandis que l’hydrogène propre et les énergies renouvelables font face à une incertitude accrue.
V. Le rôle des standards et l'intégrité du marché
Nouveaux standards
La crédibilité du VCM repose sur des standards robustes et des orientations claires. Parmi les évolutions récentes :
ICVCM Core Carbon Principles : ces principes définissent une référence mondiale pour les crédits carbone de haute intégrité, garantissant que seuls les projets réellement additionnels et vérifiables soient reconnus.
Guidance VCMI : cette initiative fournit aux entreprises des cadres pour utiliser les crédits de manière responsable et en cohérence avec l’Accord de Paris, évitant l’écoblanchiment.
Science Based Targets Initiative (SBTi) : la SBTi envisage des objectifs intermédiaires pour les suppressions de carbone, susceptibles de stimuler plus tôt les investissements et de mieux préparer l’offre future.
Maturité du marché et transparence
Les acheteurs et investisseurs attendent désormais davantage de diligence, de transparence et de vérifications tierces. Les primes pour les crédits de haute intégrité augmentent, et les entreprises se montrent prêtes à payer plus pour des crédits récents et vérifiés de manière indépendante.
Conclusion
Malgré les revers politiques et les retards réglementaires, le marché volontaire du carbone en 2025 démontre une résilience, une innovation et une croissance remarquables. L'augmentation des offtake agreements, la demande record et le recentrage sur des crédits crédibles transforment le marché volontaire en un instrument plus mature et efficace pour l’action climatique.
"Malgré les incertitudes sur les politiques climatiques et un contexte politique polarisé, les entreprises démontrent la résilience de leur stratégie carbone avec une demande soutenue pour les crédits. Cela souligne le rôle essentiel que joue le marché carbone pour permettre aux entreprises de tenir leurs engagements de neutralité carbone".
Allister Furey, PDG de Sylvera
A PROPOS D'APOLOWNIA
Apolownia est une entreprise à mission engagée dans la lutte contre le changement climatique.
Nous soutenons les entreprises et les fonds désireux de s'engager dans des stratégies de décarbonation à long terme et impactantes - au sein et au-delà de leur chaîne de valeur - en concevant, en mettant en œuvre et en assurant le suivi de projets de contribution climatique basés sur la science et dont l'objectif est de restaurer les écosystèmes naturels.
À travers la technologie et des solutions innovantes, nous visons à façonner un monde résilient et respectueux de l'environnement, en encourageant la décarbonation de l'économie et en soutenant des initiatives sociales et environnementales.
Vous pouvez être moteur d'un changement positif pour le climat, la biodiversité et les communautés locales.
Contactez-nous pour vous engager ou pour plus d'informations. Retrouvez-nous sur www.apolownia.com.
Sources:
Ecosystem Marketplace, State of the Voluntary Carbon Market 2025
Abatable Carbon Compass, June 2025
AlliedOffsets Q2 2025 Market Data
Comments