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Des quotas aux crédits : l’évolution d’un marché mondial

  • alexandrebrunet23
  • il y a 2 jours
  • 5 min de lecture

Les marchés carbone sont nés avec l’idée qu’il fallait donner un prix au carbone pour en maîtriser les émissions. Dans les années 2000, sous l’impulsion du Protocole de Kyoto, les premiers systèmes d’échange de quotas voient le jour. Le plus emblématique, l’EU ETS (European Union Emissions Trading System), lancé en 2005, impose un plafond d’émissions aux secteurs les plus polluants (industrie lourde, production d’énergie, aviation intra-européenne), tout en autorisant les entreprises à s’échanger des quotas d’émission.

Ce modèle de type « cap-and-trade » est depuis repris par d'autres juridictions (Royaume-Uni, Nouvelle-Zélande, Corée du Sud, Chine...), mais reste concentré sur un nombre restreint de secteurs. Outil puissant, certes, mais encore partiel : il n’englobe ni les émissions agricoles, ni les usages des sols, ni la majorité des entreprises tertiaires.


C’est dans ce contexte que s’est développé en parallèle un marché dit « volontaire » du carbone. Il permet à des acteurs non contraints légalement - entreprises, collectivités, particuliers - de financer des projets permettant de réduire ou séquestrer des émissions de gaz à effet de serre, souvent via des solutions basées sur la nature (reforestation, restauration de mangroves, agriculture régénérative, etc.).


Initialement pensé comme un mécanisme complémentaire à destination des entreprises engagées dans des trajectoires net-zéro alignées SBTi (Science-Based Targets initiative), ce marché volontaire est aujourd’hui en pleine transformation. Sa montée en qualité, son encadrement méthodologique et sa compatibilité croissante avec les dispositifs réglementaires en font un outil central dans l’architecture climatique mondiale. C’est cette convergence croissante entre le volontaire et le réglementaire qu’il s’agit ici d’analyser.


1. Du marché volontaire d'entreprise à un outil de politique publique


À son origine, le marché volontaire du carbone répondait à un besoin de responsabilité climatique émanant du secteur privé. De nombreuses entreprises, désireuses de contribuer à l’effort climatique sans y être obligées, ont eu recours à la compensation via l’achat de crédits carbone. Ces crédits servaient à compenser leurs émissions résiduelles dans le cadre d’engagements climatiques volontaires, en particulier ceux alignés avec les standards de la SBTi.


Mais cette logique strictement corporate évolue. Le marché volontaire entre désormais dans une phase de structuration avancée. Les projets financés deviennent de plus en plus exigeants en matière de qualité : transparence, mesure rigoureuse des émissions évitées ou séquestrées, co-bénéfices sociaux et environnementaux démontrables. Les labels comme Verra, Gold Standard ou le Label bas carbone renforcent leurs exigences, intégrant des critères d'intégrité environnementale, sociale et de gouvernance.


Parallèlement, les acheteurs de crédits ne cherchent plus seulement des volumes au plus bas coût, mais des garanties de crédibilité. Ce recentrage sur l’impact réel plutôt que sur la quantité transforme profondément l’écosystème du marché volontaire. Et surtout, il prépare ce marché à une reconnaissance plus large dans les politiques publiques climatiques, comme le montre l’exemple singapourien.


2. Vers une convergence structurante des marchés carbone


Cette montée en qualité du marché volontaire coïncide avec l’évolution des cadres réglementaires. L’Accord de Paris, et plus précisément son Article 6, offre désormais une base juridique internationale pour l’intégration de crédits carbone dans des dispositifs contraignants. L’Article 6.2 autorise les transferts d’unités de réduction d’émissions (ITMOs) entre pays, sous réserve de garanties d’intégrité environnementale. L’Article 6.4 crée quant à lui un mécanisme centralisé, fondé sur des méthodologies validées et une gouvernance multilatérale.


Par ailleurs, des dispositifs sectoriels comme le mécanisme CORSIA (pour l’aviation internationale) imposent déjà aux compagnies aériennes de compenser leurs émissions excédentaires avec des crédits conformes aux standards internationaux, notamment ceux de l’Article 6. Ce système global, bien qu’encore jeune, permet une première intégration structurelle de crédits issus du marché volontaire dans un mécanisme de conformité internationale.


De plus en plus d’États commencent également à intégrer les crédits carbone dans leurs propres politiques fiscales ou climatiques. Singapour, par exemple, autorise ses entreprises à compenser une partie de leur taxe carbone (de 5 à 10 % selon les années) avec des crédits carbone reconnus, issus de projets certifiés Article 6. Les prix observés lors des premiers appels d’offres oscillent entre 19 et 41 $/t, avec une moyenne autour de 26 à 29 $/t.


Ce mouvement est loin d’être isolé. L’Union européenne envisage sérieusement l’intégration de crédits dits de « removal » – captation durable du carbone via nature-based solutions ou technologies comme le biochar ou le DAC – dans le cadre de la réforme de son ETS à l’horizon 2026. D’autres pays, comme le Mozambique, le Gabon ou Djibouti, ont lancé leurs propres registres nationaux, adossés à des taxes carbone sectorielles, dont les revenus sont réinvestis localement dans des projets climatiques communautaires.


3. Études de cas : convergence en action


Singapour représente aujourd’hui un cas d’école.

Le pays a progressivement fait évoluer sa taxe carbone, passant de 5 à 25 $/t en 2024, avec un objectif de 50 $/t en 2030. Il a mis en place un mécanisme de compensation partielle via crédits carbone internationaux, compatibles avec l’Article 6. Il a lancé des appels d’offres publics, soutenu la structuration de registres certifiés, et agit comme hub régional pour le marché du carbone en Asie.


En Afrique, plusieurs États démontrent que les dispositifs de taxation carbone peuvent devenir de puissants leviers de financement pour la transition écologique locale. À Djibouti, une taxe carbone sur le transport maritime (17 $/tCO2e) permet de capter une rente climatique réinjectée dans des projets de restauration de mangroves ou de forêts sèches. Le Mozambique, quant à lui, a signé des accords de reconnaissance mutuelle avec des labels internationaux comme Verra, facilitant l’intégration de projets dans le registre national.


Enfin, l’Union européenne marque un tournant stratégique. Longtemps réservée à une approche exclusivement basée sur les quotas, elle prépare aujourd’hui l’ouverture encadrée de son marché à des crédits de captation. Cette évolution, encore en discussion, viserait à mobiliser de nouveaux leviers pour atteindre les objectifs 2040–2050 tout en assurant une cohérence avec les exigences de l’Accord de Paris.


4. Vers un marché mondial hybride et harmonisé


Tous les signaux convergent : le marché carbone n’est plus divisé entre un monde « volontaire » d’un côté et un monde « réglementaire » de l’autre. Une hybridation est en cours. Elle repose sur un alignement normatif progressif (Article 6, SBTi, ISSB, ETS, CORSIA), une volonté politique croissante (ex. : coalition UK–Kenya–Singapour–France–Panama), et une maturité économique accrue (prix stabilisés, appels d’offres publics, fiscalisation partielle).

Ce processus ouvre la voie à un marché carbone global, structuré, fiable, où les projets de restauration d’écosystèmes – y compris dans les pays du Sud – pourront générer des crédits à haute valeur ajoutée, reconnus aussi bien par les acheteurs privés que par les régulateurs.


Conclusion


La convergence entre les marchés volontaires et réglementaires ne relève plus de l’anticipation : elle est en marche. Elle transforme le crédit carbone en une véritable monnaie climatique, alignée sur des trajectoires net-zéro, insérée dans des cadres fiscaux, et porteuse de co-bénéfices sociaux et écologiques majeurs.

Dans ce nouveau paysage, les crédits carbone ne sont plus une externalité volontaire, mais un levier structurant de la planification climatique mondiale.


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